Elèves et fléaux sociaux: « Mon cri du cœur »
- Écrit par Webmaster Obs
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Prenant prétexte d’un cas d’incivisme dans la circulation routière, l’auteur du présent article suscite la réflexion sur l’éducation. Un cri du cœur qui vaut son pesant… de considération.
«Mon fils, il faut rejoindre la voie dédiée aux véhicules à deux roues. Ici, tu ne peux pas circuler avec ce type de cylindrée et s’il te plaît, porte ton casque au lieu de l’accrocher au guidon de ta moto. Il te protègera en cas de chute.» Réponse du jeune homme : « De quoi il se mêle, ce vieux con ? » Voilà en substance les échanges qu’un quinquagénaire a eus avec un jeune en tenue scolaire aux feux tricolores d’une des avenues de Pissy et qu’il m’a relatés. La suite, poursuit le vieux, dès que le feu rouge a viré au vert, l’élève a démarré en trombe et a poursuivi sa route dans la chaussée réservée aux grosses cylindrées et aux véhicules à quatre roues. « En plus de la réponse impolie qu’il m’a adressée, il a royalement ignoré mes conseils. Pour ma part, j’ai ravalé ma colère, feint d’ignorer cette réponse grossière du môme en public, ainsi que les rires de certains usagers de la route qui ont assisté à la scène et j’ai continué mon chemin vers mon bureau. Toute la journée, j’ai cogité, mille et une fois, sur cette mésaventure matinale », conclut-il.
Je rends compte du témoignage poignant de ce quinquagénaire pour susciter le débat sur l’éducation de nos enfants en lien avec les fléaux sociaux. Comme cet adolescent, ils sont nombreux les Burkinabè, enfants, jeunes, adultes et même des personnes d’un certain âge, à se comporter ainsi dans la société.
Mais qu’entend-on par fléaux sociaux ? Quelles en sont les causes, les conséquences et les pistes de solution ?
Pour Fabrice Cahen et Adrien Minard (2016), le concept est apparu dans le dernier tiers du XIXe siècle et renvoie de façon extensible à un ensemble de maux (tuberculose, cancer, mortalité infantile, « dépopulation », etc.) perçus comme autant de menaces pour la survie de la collectivité tout entière. Ces auteurs citent à ce propos l’hygiéniste R. Deguiral (1953 : 12), pour qui « les fléaux sociaux sont non seulement le résultat d’un agent pathogène, mais aussi de conditions de vie, de climat, d’habitation, de travail, de comportement, de possibilité ou d’habitude alimentaire... Ils se caractérisent par leur puissance d’extension et de multiplication ».
Si nous essayons de tropicaliser le concept pour le ramener au contexte burkinabè, les fléaux sociaux pourraient toucher une gamme variée de faits sociaux allant de la santé, à l’hygiène publique, sans oublier le civisme, etc. Ainsi peut-on citer : la toxicomanie, la prostitution, l’alcool, le non-respect des personnes âgées, des feux tricolores, des personnes en situation de fragilité (femmes enceintes, personnes en situation de handicap). Les exemples sont légion quand nous échangeons avec des parents d’élèves sur des cas de manquements dans la société avec des conséquences somme toute dommageables, non seulement pour les individus mais aussi pour la société burkinabè.
Concernant le cas de la drogue, les médias montrent parfois des images d’élèves qui fument de la cigarette à l’entrée des établissements scolaires et même de jeunes fumant de la chicha. Certes, la fermeture de certains fumoirs dans la capitale Ouagadougou ces derniers temps par les forces de l’ordre a mis un peu d’ordre, mais le fléau n’est pas éradiqué pour autant. Malheureusement, ce vice est souvent accompagné de celui de l’alcool, de la débauche sexuelle et de l’incivisme. En effet, certains jeunes susmentionnés conjuguent parfaitement drogue, alcool et sexe. Boissons alcoolisées, canettes énergisantes, tout y passe souvent dans un climat de concurrence sur qui « descendra » le maximum de bières ou qui sera « fort » en nombre de « coups » ou actes sexuels en un temps record. Quelle société en déliquescence ! Le jeune n’a pas encore achevé son développement physique qu’il connaît toutes les positions sexuelles et est à « n » partenaires sexuels, souvent sans protection, avec son corollaire de maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH et l’hépatite B.
C’est à croire que le virtuel des télénovélas est devenu une téléréalité où la recherche du sensationnel tend à devenir une mode vulgaire ; chose qui est aux antipodes de nos us et coutumes, ainsi que des valeurs et normes culturelles que nos ancêtres nous ont léguées. Le comble, c’est que ces mômes à la fleur de l’âge n’entendent point raison et sont allergiques à la critique comme ce jeune juché sur son bolide au feu tricolore de Pissy. Et que dire de ces compétitions de vitesse des jeunes à vous couper le souffle et à donner un trend croissant à votre tension artérielle, sur l’échangeur du Nord ou dans les larges ruelles des quartiers huppés de Ouaga 2000 ? Dans ces conditions, quand survient un accident mortel, le drame par-delà le blâme et l’émotion devrait nous ramener à la raison, sinon aux raisons profondes de ces situations macabres. Certes, il est bon de trouver la cause, de pointer un doigt accusateur pour identifier le mal, ses ramifications, ses contours, ses pourtours... En cela, je fais partager la responsabilité à nous, les parents, aux enseignants, aux voisins, aux amis, à l’Etat, à la société tout entière. Toutefois, j’accuse les parents, pour paraphraser le chantre de la Négritude, Aimé Césaire qui écrivait : « Je demande trop aux hommes ! Mais pas assez aux Nègres ».
Je demande donc trop aux parents, car ils portent l’entière responsabilité de la venue d’un enfant au monde, de son éducation et de son insertion utile dans la société. C’est une vérité de Lapalisse d’affirmer que l’enfant est un don de Dieu. Combien ne remueraient pas ciel et terre pour implorer Dieu, Allah, les mânes des ancêtres, etc., pour avoir un enfant, peu importe son sexe, son état de santé physique ou mentale, pourvu qu’il soit le fruit de leurs entrailles ? Embouchant la même trompette, le révolutionnaire Amilcar Cabral affirmait : « Les enfants sont les fleurs de notre lutte et la raison de notre combat ». J’accuse donc les parents qui ont mis au monde un enfant et le laissent sans éducation. Assurer son alimentation, payer ses vêtements, son moyen de déplacement..., c’est formidable. Mais l’éduquer à manger avec décence, à respecter son corps, à ne pas voler le bien d’autrui ; à prendre soin de sa vie quand il utilise son moyen de déplacement est tout aussi vital. Comment nos enfants le sauront-ils si nous ne les entretenons pas de ces sujets ? Personne ne naît homme ou femme, non pas sur le plan biologique, mais socialement parlant. C’est par l’éducation que nous devenons réellement femme ou homme. Mais combien de temps passons-nous dans les maquis, les salons de coiffure, sur les réseaux sociaux, et même lorsque nous sommes à domicile, combien de temps nous asseyons-nous avec notre progéniture pour discuter de leurs besoins, de leurs difficultés, de leurs journées à l’école ? Combien de fois tenons-nous des réunions de famille pour les sensibiliser sur la drogue, la sexualité, l’alcool, l’usage « intelligent » des réseaux sociaux ? Combien de fois leur montrons-nous par l’exemple que nous devons respect et honneur à la personne âgée en la saluant avec déférence ou en lui cédant notre place dans la file de paie de notre facture ONEA? Combien de fois avons-nous donné l’opportunité à notre voisine, à notre amie ou à notre sœur de critiquer tel comportement déviant de notre enfant et de le punir (sans méchanceté mais aussi sans complaisance), si cela est avéré ? Ne préférons-nous pas surprotéger nos enfants, jouer à l’autruche et ignorer une vérité qui nous deviendra, tôt ou tard, comme un effet boomerang ?
Nous n’avons pas la prétention de donner des enseignements ou d’avoir épuisé le débat, tant le domaine des fléaux sociaux est éclectique (toxicomanie, alcool, prostitution, etc.) et vaste comme le ciel. Néanmoins, nous voulons, en toute humilité, par ce cri du cœur, susciter la prise de conscience sur la question. A chacun alors de faire sienne cette maxime africaine : «Eduque ton enfant comme un caillou et il deviendra comme de l’or pour toi et toute la communauté. Mais ne l’éduque pas comme de l’or car il te reviendra comme un caillou et à ce moment, tu auras envie de le jeter mais tu ne pourras pas, puisque c’est ton enfant ».
Que le discernement habite davantage chacun de nous pour une meilleure éducation de nos enfants, gage d’une société burkinabè débarrassée des fléaux sociaux et davantage intègre à tous points de vue. Ce n’est pas une chimère. C’est faisable !
Yarga Monique B.
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Sources des citations :
Aimé Césaire, La tragédie du roi Christophe, Présence africaine, 1963
Fabrice Cahen et Adrien Minard, « Les mobilisations contre les « fléaux sociaux » dans l’entre-deux-guerres », Histoire & mesure, XXXI-2 | 2016, 141-170.
R. Deguiral (1953) cité par Fabrice Cahen et Adrien Minard, « Les mobilisations contre les « fléaux sociaux » dans l’entre-deux-guerres », Histoire & mesure, XXXI-2 | 2016, 141-170.